I
Quand elle avait vu son nom dans l’organigramme des filiales du groupe, c’est peu dire qu’elle fut surprise. Comment le garçon qu’elle avait connu au lycée avait-il pu, à peine dix ans plus tard, accéder à ce poste de direction convoité ? Elle se souvenait d’un adolescent qui l’avait, de prime abord, attiré par son physique avantageux et son allure énigmatique mais très vite, elle avait compris que l’écart de condition interdisait toute relation avec lui. Elle la fille de bonne famille, aussi brillante que séduisante et qui éclaboussait de sa supériorité tout le lycée, n’avait rien à faire avec un garçon plutôt taciturne, élève médiocre et camarade terne. Elle l’avait snobé comme le reste de ses camarades pour se focaliser sur les lycéens de son niveau.
Elle avait logiquement enchainé sur des études éblouissantes, concentrée pleinement sur son avenir et sa carrière, sacrifiant tout pour arriver à ce poste de direction : DRH d’un grand groupe industriel français, comptant plusieurs dizaines de milliers de salariés dans ses nombreuses filiales. Elle s’était promise d’entamer son mandat par de fréquentes visites de terrain et lorsqu’elle lut son nom à la tête de l’une des principales filiales, elle fut interloquée au point de décider sur le champ que ses visites en province débuteraient par la filiale qu’il dirigeait.
Elle prit le TGV un vendredi matin, direction le sud et fut accueillie comme il se devait par l’ensemble de l’encadrement. Ils se reconnurent immédiatement, moins de dix ans s’étant écoulés depuis leur bac. Ils se signalèrent très vite le plaisir respectif et plus ou moins réel qu’ils éprouvaient à se retrouver là et enchainèrent par une visite en règle de l’entreprise et une série de réunions. Parce qu’elle avait prévu de passer le week-end dans la région et que la curiosité la dévorait – comment un être aussi médiocre avait pu en si peu de temps accéder à ce poste enviable ? – elle lui proposa de se retrouver le soir même dans un bar de la ville pour évoquer le bon vieux temps. A sa grande surprise, il accepta avec enthousiasme et lui suggéra un lieu où dit-il, « on ne serait pas dérangés ».
II
Elle arriva avec moins de retard qu’elle ne l’eut voulu mais l’envie de savoir le fin mot de cette carrière étonnamment fulgurante était trop forte. Elle l’aperçu au fond de la salle, dans une de ces alcôves à 1 table et deux banquettes qui effectivement leur assurerait sinon de l’intimité, du calme pour discuter. Le bar était assez animé mais les tables proches d’eux étaient vides, à l’exception de l’une d’entre elles où une jeune femme, étudiante probablement, travaillait sur un ordinateur. L’étudiante jeta un bref coup d’oeil à la femme lorsqu’elle passa devant elle pour rejoindre son rendez-vous. Son regard s’attarda sur l’allure de la femme, élégante et terriblement sensuelle, et elle ne put s’empêcher de juger le contraste assez violent avec l’homme qui manifestement avait rendez-vous avec elle. Elle se dit que ce n’était sans doute pas un rendez-vous galant et se replongea dans son écran d’ordinateur.
L’homme avait lui aussi un ordinateur déployé devant lui et semblait plutôt lire ou regarder des images. Quand la femme arriva à sa table, elle déposa son manteau sur la banquette en face de lui et fit mine de vouloir s’y installer. Il l’arrêta et lui proposa de venir s’installer à côté de lui pour, montrant son ordinateur, qu’il lui présente le document qu’il n’avait pu trouver l’après-midi même lors d’une réunion et sur lequel il avait, enfin, remis la main. Elle s’installa donc sur sa droite et il se lança aussitôt dans un laïus à propos d’accidentologie sur les chaines de production qu’elle écouta poliment. Ils s’étaient petit à petit collés l’un à l’autre et quand il eut terminé, elle le remercia et décida de rester ainsi, estimant cette proximité favorable à l’obtention d’une confession. Ils levèrent donc les verres qui attendaient depuis 10 bonnes minutes qu’on s’intéresse à eux et trinquèrent à leurs retrouvailles.
Elle l’interrogea sur son parcours et bien qu’il fut étonnamment brillant, il restait évasif et peu enthousiaste quant à son cursus. Pourtant, dit-elle, il y avait de quoi être fier ! Elle ne put s’empêcher d’être honnête et de lui dire qu’elle gardait le souvenir d’un lycéen « effacé », délicate métaphore, qu’elle ne s’attendait pas à retrouver en si belle position. Et prenant une voix trop douce, elle lui demanda quel était son secret. Comment avait il pu franchir aussi vite les étapes ardues des classes préparatoires, grandes écoles, embauche et progression au sein d’un grand groupe ? Avait-il donc un super-pouvoir demanda-t’elle dans un éclat de rire.
Il la regardait parler avec un air qui exprimait d’avantage la patience que l’intérêt. Il se doutait depuis l’invitation qu’elle avait pour moteur la curiosité pure de son ancienne camarade de classe, curiosité née de la remise en question de son système de valeurs et de la stabilité sociale qu’elle pensait gravés dans le marbre. Elle s’arrêta brutalement de parler et le fixa sans bienveillance, son sourire ne masquant pas son exigence de réponse.
Sa tournant franchement vers elle et prenant le temps d’admirer son beau visage et le décolleté qu’elle mettait sous ses yeux, il dit avec calme : c’est assez simple en réalité. Je contrôle les mains des gens. C’est très pratique et cela permet d’obtenir bien des choses.
III
Elle le regarda interloquée, puis elle regarda ses mains qui gisaient sur la table, la droite tenant son téléphone portable. Elle tenta de le soulever mais ses mains ne répondirent pas et ne bougèrent pas d’un millimètre.
Elle lui adressa un regard paniqué, réussissant toutefois à garder suffisamment de calme pour lui lancer :
- Qu’est ce que c’est que ces conneries !? Arrête ça tout de suite ou je m’en vais !
- Aucune chance.
Outrée par la menace, elle fit mine de se lever mais ses mains agrippèrent le bord de la table avec force et elle ne put décoller ses fesses de la banquette. Elle se laissa retomber sur le dossier, les mains toujours solidement cramponnées à la table et plongea son regard dans celui de l’homme.
- Je te conseille de me laisser partir maintenant ! N’oublie pas que je suis ta supérieure et que ce que tu fais est certainement illégal.
- Tu m’as posé une question et je ne fais qu’y répondre. Sitôt que je serai bien sûr que tu auras compris comment j’en suis arrivé là, je le laisserai partir.
La scène, passablement animée, avait attiré l’attention de l’étudiante qui leva les yeux sur eux. Voyant le regard noir de la femme elle prit un air interrogateur. Avait-elle un souci avec cet homme ? Consciente des risques pour sa réputation, la femme décida d’adresser un petit sourire rassurant à l’étudiante. Qu’elle ne s’inquiète pas, tout allait bien. L’étudiante replongea dans son travail.
- Et maintenant ? Demanda la femme.
- Et maintenant ? Dit-il. Et bien c’est simple, je vais moi aussi assouvir ma curiosité. J’étais amoureux de toi au lycée, comme tout le monde. Mais tu étais si lointaine, si inaccessible, si peu humaine pour nous autres pauvres mortels. Je me demandais si tu étais capable d’amour, ou même simplement de jouissance physique. De te laisser aller. De jouir tout simplement. Je crois que oui et on va vérifier.
Pour la première fois de sa vie, la femme était dans une situation qui lui échappait à 100%. C’était très angoissant mais elle se surprit à éprouver, une fois de plus, de la curiosité. Elle ne sentait aucun danger pour sa santé et se demandait ce qu’elle allait être capable de faire.